mercredi 1 novembre 2000
Lettre ouverte à Mr Badinter
Par Maurice Caillet, mercredi 1 novembre 2000 à 22:13 :: Petits mots
Article paru dans Ouest-France du 1/11/2000
Monsieur Badinter, j'ai lu avec intérêt votre interview par Bernard Le Solleu dans Ouest-France du 15 septembre 2000. Intérêt et émotion. En effet, j'ai toujours partagé votre répulsion pour la peine de mort et, si je n'avais été médecin, j'aurais préféré me déclarer objecteur de conscience plutôt que de faire mon service militaire, tant je réprouvais l'idée de donner la mort à une autre personne. Aussi, ayant milité dix ans au Parti Socialiste, j'ai partagé et admiré votre combat contre la peine de mort. Mais, à la même époque, mes engagements de chirurgien-gynécologue en faveur de la liberté de conception, m'amenèrent à être un pionnier de l'IVG en Bretagne. Même si je réservais cet acte à des cas extrêmes, dramatiques, médicaux ou sociaux, aussi curieux que cela puisse paraître, je ne voyais pas la contradiction entre le fait de refuser la mort d'un adulte, souvent coupable d'actes graves, et de pratiquer moi-même l'interruption de la vie d'un être humain innocent et sans défense. Ma conscience s'est ouverte depuis! Comme Madame Martine Aubry a transformé l'IVG d'exception en droit à l'avortement, comment peut-elle, comment pouvez-vous vivre cette contradiction (c'est-à-dire philosophiquement une absurdité) de défendre la vie de quelques trente adultes par an au Texas et de permettre l'exécution de 200.000 êtres humains par an, en France, qui ne peuvent ni faire entendre leurs voix, ni trouver d'avocat de la défense? Cinq millions de morts depuis 1975, n'est-ce pas un holocauste? A ce propos, si je m'incline sincèrement devant votre douleur d'avoir perdu votre père en déportation, et si je plains les parents dont l'enfant, même coupable, est condamné à mort, je tiens à témoigner que la douleur n'est pas moindre chez les femmes qui sont conduites à faire supprimer le fruit de leurs entrailles. Mon expérience, assez grande en ce domaine, m'a montré que la solution, dans l'immense majorité des cas, n'est pas chirurgicale, mais sociale, matérielle, financière. Qu'attend-on pour aider les femmes françaises acculées à l'IVG, alors que notre situation démographique, déficitaire, est préoccupante au point que l'ONU vient de conseiller à la France d'accueillir plus de migrants? Autre contradiction, autre absurdité! Quant à l'horreur même de l'acte opératoire, qui a écoeuré les plus vifs partisans de l'IVG, chirurgiens endurcis, je conseille à ses zélateurs de passer une demi-journée dans une salle d'opération consacrée à cet acte mortifère! M. Caillet